La qualité exceptionnelle de son bois cause bien des soucis à l'if et fut l'une des principales raisons de sa régression en Europe , tant il fut recherché et exploité.
Le bois est un matériau à structure complexe. Il comprend trois types d'éléments:
Des cernes concentriques qui correspondent à l'accroissement annuel du tronc, en épaisseur, et qui sont formés, à l'origine, de vaisseaux propres à canaliser la sève venant du sol. La couleur des vaisseaux et leur taille varient du début de saison à la production de fin de saison, d'ou la facilité à lire les cernes et éventuellement à les compter pour estimer l'âge de l'arbre;
Des files radiales qui apparaissent, en coupe transversale, un peu comme les rayons d'une roue;
Des tissus de remplissage, dit tissus interstitiels, qui peuvent être constitués de cellules fibreuses ou parfois de canaux et de poches emplis de produits divers, résines, essences, tannins…
Tout ces éléments sont imprégnés d'une matière dure, la lignine, disposée suivant des ornementations variées, parfois spiralées, formant comme de minuscules ressorts et parfois ponctuées de perforations de ces différentes parties, la richesse et la pureté plus ou moins grande des substances d'imprégnation donne au bois ses qualités spécifiques: dureté, élasticité, résistance à la cassure et à la corruption dans l'air ou dans l'eau, couleur et odeur.
Dans le cas de l'if, les choses sont simplifiées dans la mesure où il ne possèdent, sans qu'on en connaisse la raison, des poches résinifères.
Le bois d'if n'est donc constitué que des cernes de croissance annuelle et des rayons qu'on dit médullaires et qui sont, dans son cas, particulièrement fins. Les cernes sont d'autant plus lisibles qu'il y a une différence très marquée entre le bois claire initial, parce que premier en saison, et le bois final, qui se met en place à la fin de l'été. Contrairement à ce qui se passe pour la plupart des arbres, cette variation de couleur ne s'accompagne pas d'une très grande modification de dureté, ce qui donne à l'ensemble une texture homogène. Les cernes ne sont pas parfaitement circulaires, comme ceux des fûts de chêne ou de sapin, mai ondulés.
Ils reproduisent ainsi les cannelures et les crevasses qui accidentent la surface du tronc et des branches. Les dessins festonnés participent à la beauté de ce bois dur, coloré, au grain uni.
Chaque année, il se forme trois ou quatre millimètres de bois par cerne quand l'arbre est jeune, mais très rapidement, l'épaisseur se réduit à un ou deux millimètres. Chez les ifs très vieux, des cernes encore bien visibles ont moins d'un millimètre d'épaisseur.
L'imprégnation de lignine, dont les motifs ne sont visibles qu'au microscope, forme des spirales orientées à soixante degrés par apport à la verticale ou l'axe de la branche. Cette disposition de l'armature interne est responsable de la remarquable élasticité du bois.
La partie centrale des troncs et des branches, bois dit de cœur ou duramen, contraste par sa couleur avec le bois périphérique, ou aubier, peu épais, de dureté égale à celle du cœur, et de teinte jaune clair. La couleur du bois central varie en fonction des origines de l'arbre, du brun au rouge amarante, en passant par toutes les nuances du cuivre rouge jusqu'aux nuance très sombres, au point que l'on appelle certain bois d'if ébène allemand. La qualité décorative du bois augmente quand il est veiné.
Sa densité est de 0,7 en moyenne, son grain particulièrement fin et homogène prend admirablement le poli. Il est sans odeur. Le bois d'if est un bois précieux.
Dureté, homogénéité, finesse du grain, résistance mécanique et résistance au pourrissement, beau poli et couleur attrayante, voilà des qualités qui orientent le bois d'if vers des usages ménagers ou artistiques. Son caractère essentiel d'élasticité le destine à des emplois militaires, pour la confection d'armes de trait ou de jet.
Dans l'Antiquité, au Moyen Age et tout récemment dans les provinces, on destinait le bois d'if à la confection d'objets ménagers (seaux, gobelets, sabot ) d'élément de tuyauterie, conjointement au bois d'orme, et pour tailler des piquets destinés à être enfoncés dans des sols très marécageux. Il répond docilement au tour et peut être sculpté, tranché, plaqué. Le charme de ses coloris est recherché en marqueterie.
Les restes préhistoriques en bois sont tout à fait exceptionnels, mais l'imputrescibilité de l'if a permis d'en retrouver quelques-uns: il s'agit le plus souvent d'armes, parfois d'outils. Le plus vieil objet en bois connu remonte à une période interglaciaire d'il y a environ cent mille ans. Il a été exhumé des terrains marécageux proches de Clacton-on-Sea, dans l'Essex, au nord de Londres. C'est un javelot en bois d'if. Datant d'une période un peu plus récente, on a découvert dans un site préhistorique de Basse-Saxe une sagaie en if fichée entre les côtes d'un mammouth. Les pointes d'if réalisées par l'homme de Cro-Magnon rivalisaient en dureté avec celles qu'il taillait dans les bois des grands cervidés.
L'if fut longtemps employé dans l'équipement des navires pour la confection de petit objets d'accastillage, mai l'essentiel de ses usages militaires réside dans la confection d'arcs, d'arbalètes et de flèches.
Au Moyen Age, ces utilisations militaires devinrent essentielles: on dit que la valeur des archer anglais venait de la nervosité du bois de leurs arc. Les ifs de l'Europe occidentale ne suffirent bientôt plus à assurer l'approvisionnement; un courant commercial coûteux importait en abondance les ifs par mer depuis les villes hanséatiques et venise. Comme le firent plus tard Henri II puis Henri IV et Sully pour ormes, ou Colbert pour les chênes de marine, les monarques français et leurs ministres prévoyants (Charles VII par exemple) et leurs homologues anglais (des Plantagenets aux Tudors) incitèrent pendant des siècles les populations à planter de l'if.
On peut confectionner des arcs avec du bois de noisetier, de frêne, d'orme ou de noyer, mai aucun bois n'atteint la qualité de souplesse et d'élasticité du bois d'if.
L'arc en bois d'if fut une arme mythique et légendaire depuis l'antiquité jusqu'à Robin des Bois en sa forêt de Sherwood ou à Guillaume tell. Ce fut surtout l'arme décisive de bien des combats ou les armées des rois d'Angleterre furent engagées.
C'est en 1066, à la bataille de Hastings, que les fantassins de Guillaume le Conquérant armés d'arc puissants surprirent l'adversaire, les cavaliers portant des lances et de lourdes épées. A cette époque, l'armée d'outre- Manche ne comptait que très peu d'archers dans ses rangs, mai était principalement constituée de porteurs de javelots, de haches et de cognées. Au cours du combat, le roi Harold mourut après avoir reçu une flèche dans l'oeil. Guillaume le Conquérant vainqueur, la dynastie normande s'implanta en Angleterre et l'arc en if devint l'arme par excellence des troupes, au point que les mots yew (if )et bow (arc) s'avérèrent synonymes. Ce ne fut qu'au XVe siècle que la poudre à canon remplaça l'adresse des archers.
Les arcs étaient manipulés par les yeomen, troupe d'élite qui perdure de nos jours et dont la mission actuelle est la garde de la tour de Londres. Il sont parfois connus sous le nom de beefeaters (mangeurs de bœuf). Cette dénomination, qui pourrait s'expliquer par la complexion sanguine de ces puissants fantassins, vient,en fait, de la déformation du vieux mot français "buffetier". En effet, à l'origine, ces troupes étaient chargées de surveiller les coffres ou buffets dans lesquels étaient conservées les affaires personnelles de la maison royale.
De nombreux patronymes anglais et parfois français rappellent le maniement des arcs: Archers, bien sûr, mais aussi Arrowsmith, Bowman, Bownocker, Bowyer, Butts, Fletcher, Stringer, ect.
Au XIIIe siecle, toute personne ne jouissant pas d'un revenu supérieur à cent pence devait obligatoirement posséder à titre personnel un arc et des flèches. C'était un peu l'arme du pauvre. Mais peu à peu le tir à l'arc devint un sport auquel les seigneurs anglais ne refusaient pas de s'adonner. Le maniement de l'arme et l'arc lui-même s'améliorèrent.
Les performances se révélèrent surprenantes. un bon archer des armées du royaume des Lancastre pouvait se vanter d'obtenir six coups au but par minute sur une cible placée à deux cents yards (cent quatre-vingt mètres). En 1983, on renfloua un navire de la marine anglaise, la Mary Rose, coulé en 1540. il contenait une centaine d'arcs et des milliers de flèches qui n'étaient pas très différents de ceux d'Azincourt, cent vingt-cinq ans plus tôt. Cette découverte permit une étude précise des performances du grand arc et des flèches en bois d'if.
Les flèches, d'un poids de soixante grammes, étaient décochées à une vitesse initiale de cent soixante à deux cents kilomètres à l'heure et conservaient au moment de l'impact une vitesse de cent trente kilomètres à l'heure. Les pointes, longues de dix centimètres, étaient d'un acier d'une rare qualité; elles pouvaient perforer une armure légère d'un centimètre et demi d'épaisseur.
En France, l'arc était beaucoup moins courant et les archers peu entraînés. On lui préférait l'arbalète. C'était une arme d'une technologie infiniment plus élaborée, d'une puissance et d'une précision très supérieures, à tel point que le pape en interdit un temps l'usage, la considérant comme une arme diabolique "indigne des chrétiens". Cependant, sa manipulation était peu aisée et très lente. Ainsi, quand l'arbalétrier français lançait deux carreaux, les archers anglais envoyaient seize flèches. Une troupe de cinq mille archers bien entraînés décochait huit cents flèches par seconde !
La différence est manifeste dans les multiples miniatures qui illustrent les combats de la guerre de cent ans. Telle miniature des chroniques de Froissart du XVe siècle relatant la bataille de Crécy montre un arbalétrier français qui vise et tire alors qu'un autre est occupé à bander son arme et que deux autres se retournent pour se procurer des flèches. Pendant ce temps, du côté anglais, cinq archers sont en position de tirer et un seul s'y prépare. Sous les murailles d'une ville assiégée, des archers placés aux avant-postes couvrent de leur tir les fantassins armés de lances, de pics et d'épées qui gravissent les échelles.
Pics et lances, spécialités galloises et irlandaises, étaient la plupart du temps fabriqués en bois d'if. Elasticité pour l'arc, densité, dureté et fermeté pour les pics, adhésion et cohésion avec l'acier de première qualité sont les propriétés du bois d'if qui en firent l'arme des victoires, maniée par des hommes entraînés et respectés par l'ensemble des troupes.
"le nom de l'arbre"
l'if de ROBERT BOURDU